ToutMa ToutMa n°41 - COLLECTOR | Page 60

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L ’ EXPO
TEXTE _ Jacques LUCCHESI
Huile sur carton " Autoportrait en militaire ", 1901

CAMOIN dans sa lumière au Musée Granet

Tout comme la littérature , la pratique de la peinture implique une solitude choisie pour son accomplissement . Nul ne crée dans l ’ urgence de l ’ action et les soubresauts du monde , sinon quelques notes ou quelques esquisses de l ’ œuvre à venir . Pourtant , dans la vie d ’ un artiste - même le plus solitaire - l ’ échange tient toujours une place importante . Car aucune œuvre ne naît ex-nihilo ; elle se situe toujours au carrefour d ’ autres œuvres , d ’ autres disciplines , d ’ autres influences ; l ’ artiste s ’ en nourrit avidement , quitte à s ’ en délester plus tard .

La vie de Charles Camoin ( 1879-1965 ) illustre on ne peut mieux cette problématique . L ’ autre , qu ’ il soit maître , condisciple , ami ( e ) ou conjoint , a toujours été le miroir - et le catalyseur - de sa propre création . C ’ est ce que démontre , avec clarté et précision , cette exposition d ’ été au Musée Granet . Placée sous le commissariat de Bruno Ely ( conservateur du musée ) et de Claudine Grammont , elle rassemble quelques quatre-vingt-dix tableaux , mais aussi de nombreuses œuvres sur papier et des documents d ’ époque ( lettres , photos ) dans un esprit parfaitement comparatiste .

Le jeune Marseillais qui , à seulement dix-huit ans ,« monta » à

Paris pour étudier , aux Beaux-Arts , sous la férule du grand Gustave Moreau , avait la vocation de peindre inscrite en lui . Encore lui fallait-il accorder sa technique et ses thèmes aux recherches du moment . Celles-ci recueillaient l ’ héritage de l ’ Impressionnisme et du Symbolisme - c ’ est manifeste dans la palette de ses premières huiles - mais pour mieux les dépasser . Ce sera , au tournant du XX ème siècle , le Fauvisme , exaltation de la lumière méridionale à laquelle Camoin s ’ adonnera en compagnie d ’ autres peintres promis à la célébrité , comme Matisse , Manguin ou Marquet , ainsi qu ’ on peut le voir dans les deux premières sections . Sa vie durant , Camoin reviendra vers ces ports et ces littoraux méditerranéens qui lui permirent de
Un hommage mérité à l ’ un des piliers discrets du Fauvisme , dans un souci affirmé de mise en relation avec son époque et ses acteurs .
laisser libre cours à son goût pour les tons vifs ( rouge , vert , jaune ) et les ambiances pastellistes . À cela s ’ ajoutera une épure progressive du trait et une construction interne , plan par plan , qu ’ il faut sans doute rattacher à Cézanne dont il fut l ’ ami et le correspondant durant ses dernières années ( 1901-1906 ).

Mais Camoin , amoureux d ’ azur et d ’ espace , ne dédaignait pas pour autant les scènes d ’ intérieur , qu ’ elles magnifient un visage (« Femme à la voilette », 1905 ) ou s ’ attachent aux détails formels qui entourent la figure principale (« Portrait de ma mère dans son salon », 1897 ). Les femmes furent pour lui une grand source d ’ inspiration et il ne les montra pas que revêtues de leurs plus beaux habits (« Jeune Napolitaine », 1906 ), mais aussi dénudées , dans des poses suggestives . Ce qu ’ atteste cette audacieuse « Saltimbanque au repos » ( 1905 ), alanguie sur son divan dans une posture rappelant la fameuse « Origine du monde » de Courbet .

Elles ne furent pas , pour lui , que des modèles et des partenaires amoureuses , mais aussi des amies et des émules dans le travail . Comme Emilie Charmy avec laquelle il peindra sur le motif de nombreux paysages corses ; d ’ une manière qui l ’ apparente rétrospectivement aux peintres expressionnistes du Cavalier Bleu , tels Franz Marc et August Macke .

L

’ expérience de la Grande Guerre ( qu ’ il fit comme brancardier ) sera , pour lui , l ’ occasion de nouvelles rencontres , notamment avec les écrivains Léon-Paul Fargue et Charles Vildrac . Les nombreux croquis de soldats qu ’ il réalisa durant cette période les montrent volontiers à l ’ arrière , presque sereins : à d ’ autres la description détaillée du front et de ses horreurs ! Et c ’ est avec plus de conviction que jamais qu ’ il reviendra , sitôt démobilisé , à la peinture de son sud natal et des beautés de ce monde , fidèle à la leçon de Renoir , l ’ un de ses maîtres .
Huile sur toile " La passerelle ", 1906-1907

Une exposition qui réhabilite un peintre un peu trop boudé par la postérité , mettant l ’ accent sur ses qualités de passeur autant que sur la douceur de son art . Il était temps , quand on sait que la dernière rétrospective Camoin fut organisée au Musée Cantini en 1998 .

CAMOIN DANS SA LUMIÈRE Jusqu ’ au 2 octobre 2016
Musée Granet Place Saint-Jean de Malte , Aix-en-Provence Du mardi au dimanche de 10h à 19h . 8 € _ 04 42 52 87 97 _ museegranet-aixenprovence . fr
Septembre / Octobre 2016 _ TM n ° 41 Collector 10 ans ! 58
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