ToutMa ToutMa n°41 - COLLECTOR | Page 25

histoire

PORTRAIT
Pour la rédaction de cet article , nous nous sommes appuyés sur l ’ excellente biographie de Georges Marion , simplement intitulée « Gaston Defferre » ( éditions Albin Michel ).
Edmonde Charles-Roux et Gaston Defferre
… Gaston Defferre appartient à cette catégorie d ’ hommes pour qui la vie se confond avec la conquête du pouvoir . La sienne se fixa sur Marseille et c ’ est par tous les moyens qu ’ il entreprit de séduire cette belle fille rebelle …
Le maire

Battu deux fois aux élections municipales ( par le communiste Jean Cristofol en 1947 et le gaulliste Daniel Carlini en 1948 ), Defferre réalise son rêve le 9 mai 1953 , non sans quelques arrangements avec la droite locale . Il a alors 43 ans et jusqu ’ à sa mort , trente trois ans plus tard , il ne quittera plus cette prestigieuse fonction . Durant cette période - ce qui est exceptionnel - il sera réélu six fois consécutives . Des élections souvent difficiles - comme , en 1965 , face au socialiste dissident Daniel Matalon et , en 1983 , contre le jeune Jean-Claude Gaudin -, gagnées in extremis , par des manœuvres peu glorieuses qui cristalliseront une certaine idée de la politique à Marseille . Aussi craint que respecté , Defferre va régner littéralement sur la classe politique marseillaise , amis ou adversaires , jusqu ’ au bout - malgré une contestation croissante dans son propre camp . Mais il aura quand même , à force de ténacité , fait entrer dans la modernité une ville au bord de la faillite . On lui doit les principaux travaux d ’ assainissement et d ’ aménagement de l ’ espace public depuis la Libération ( hôpitaux , plages , métro ). Et aussi les cités d ’ HLM des quartiers nord , construites en urgence à partir de 1962 , avec les suites que l ’ on sait .

Le patron de presse

Defferre et la presse , c ’ est encore une certaine conception du pouvoir à l ’ œuvre , une continuation de la politique par d ’ autres voies que les urnes . Dix ans après la conquête et la refondation du Provençal , il lorgne du côté de Toulon et rachète La République qu ’ il transforme en Var-matin . Chaque fois , il place à leur tête un homme de confiance ( Francis Leenhardt au Provençal , Jacques Defferre , son frère cadet , à Varmatin ) et ferraille dur avec les concurrents - comme Nice-matin - qui voudraient s ’ implanter dans son pré carré . Son plus beau « coup » est sans doute , en 1971 , le rachat du Méridional à Jean Brémond ( qui le tenait , lui-même , de Jean Fraissinet , héritier d ’ une célèbre famille d ’ armateurs et représentant de la droite dure à Marseille ). Defferre ne changera pas la ligne droitière du journal qui aura une rédaction indépendante du Provençal . Mais en regroupant les deux titres dans les mêmes locaux , avec les mêmes services administratifs et techniques , il va ainsi gagner sur les ventes de l ’ un et l ’ autre . C ’ est d ’ ailleurs le seul journal de droite dont il supportera les critiques , puisqu ’ il en était le patron .

L ’ homme d ’ état

Député dès 1945 puis secrétaire d ’ état à l ’ information dans le gouvernement Gouin , Gaston Defferre va rapidement s ’ imposer sur la scène politique nationale . Anticolonialiste , il rédige en tant que ministre de l ’ Outre-mer une première loi-cadre sur l ’ indépendance de l ’ Afrique en 1956 . Sa fidélité inébranlable au Parti Socialiste le fait pressentir , dès 1963 , comme un possible candidat à la présidentielle . Un défi qu ’ il finira par relever en 1969 : sans succès puisqu ’ il n ’ obtiendra que 5 % des suffrages . Le ralliement à Mitterrand et son élection en 1981 remettront Defferre au premier plan .

Le voici , à plus de 70 ans , nommé ministre de l ’ Intérieur et de la Décentralisation . Tâche ardue , surtout pour un homme aussi investi que lui dans son mandat local . Très vite , il va délaisser le versant policier et sécuritaire de sa mission pour se concentrer sur l ’ élaboration de la loi qui porte son nom . Au point que l ’ Elysée lui adjoindra un ministre délégué - Joseph Franceschi - avec lequel il entrera vite en conflit . Qu ’ importe ! Les collectivités locales lui devront désormais leur autonomie et les préfets la perte de leur autorité sur les communes .
Pour conclure

Que n ’ a-t-on pas dit et écrit sur Gaston Defferre ?

Son élocution au débit haché , ses accointances avec la pègre marseillaise , sa passion pour les armes , ses duels anachroniques avec d ’ autres hommes politiques : autant d ’ éléments qui concourent certainement à sa légende . L ’ homme privé , pudique , rigoureux et cultivé , contrastait cependant avec le matamore qu ’ il était volontiers dans l ’ arène publique . Faut-il choisir entre l ’ un et l ’ autre ? Sûrement pas . Chacun est fils de son temps et Defferre fut , lui aussi , façonné par le sien . Lucide et courageux , il ne s ’ est pas trompé sur le sens de l ’ Histoire à une époque où la France vacillait et doutait de ses valeurs : tout le reste n ’ est qu ’ anecdotes . Si le combat fut sa devise , l ’ ambition fut son moteur . Tout comme François Mitterrand - mais avec moins de charisme -, Gaston Defferre appartient à cette catégorie d ’ hommes pour qui la vie se confond avec la conquête du pouvoir . La sienne se fixa sur Marseille et c ’ est par tous les moyens qu ’ il entreprit de séduire cette belle fille rebelle . Au point d ’ en épouser la destinée capricieuse et d ’ unir à jamais son nom au sien .
Septembre / Octobre 2016 _ TM n ° 41 Collector 10 ans ! 23
Retrouvez tous nos reportages sur www . toutma . fr