ToutMa ToutMa n°39 - Printemps 2016 | Page 16

histoire PYTHÉAS L’EXPLORATEUR TEXTE _Jacques LUCCHESI Pythéas ou l’appel du nord L’un des plus grands explorateurs de tous les temps était Massaliote. Il s’appelait Pythéas et vivait au IVème siècle avant JC. On lui doit la découverte des îles britanniques et de l’Islande. P lace Bargemon, non loin de la mairie, on peut voir une statue en marbre représentant deux têtes jumelles d’antiques navigateurs massaliotes : Euthymènes et Pythéas. Le premier vivait au VIème siècle avant JC et passe pour avoir exploré l’Atlantique jusqu’aux côtes de l’actuel Sénégal. En soi une immense aventure, même s’il existait déjà des comptoirs dans cette zone fréquentée par les navires grecs, phéniciens et étrusques. Il regarde, bien sûr, vers le sud. Le second a les yeux tournés vers le nord et s’appelle Pythéas. Il vivait, lui aussi à Massalia mais environ deux siècles plus tard. Le périple qu’il a accompli est encore plus prodigieux que celui de son aîné puisqu’il a remonté l’Atlantique et la Mer du Nord jusqu’aux confins des terres alors habitées. Sans carte ni instrument de navigation. Faisons un bond dans le temps et suivons-le à la trace. uand Pythéas naît, vers 380 avant JC, le monde connu tient dans un espace qui va de la Méditerranée à la Mer Noire, avec l’Egypte et la Mésopotamie pour limites orientales. Au-delà, c’est l’inconnu, sinon un chaos propice à toutes les créatures monstrueuses. Certains supposent qu’il y a d’autres étendues marines mais ils ne peuvent rien en dire. Néanmoins, le commerce est florissant et de nombreux navires longent les côtes de l’Ibérie (Espagne) et de l’Afrique. La science n’est pas moins audacieuse et la pensée grecque, à Athènes, Milet ou Samos, a depuis longtemps pris son essor. Bref : tout est en place pour faire de nouvelles découvertes. Qui était Pythéas ? C ’est dans ce contexte culturel qu’évolue Pythéas à Massalia (déjà sous tutelle romaine). Homme d’étude - il occupe les fonctions d’astronome -, c’est aussi un marin qui, sans doute par nécessité, a beaucoup bourlingué. Il aime bien fréquenter aussi les tavernes où des marins lui rapportent des récits qui exaltent son imagination. Cité prospère, Massalia n’en est pas moins soumise à la concurrence des autres ports et doit trouver sans cesse de nouveaux débouchés commerciaux. À l’époque, l’ambre et l’étain sont particulièrement recherchés mais il faut aller loin, très loin, pour en trouver. En homme d’expérience - il a déjà 50 ans -, Pythéas sent qu’il a une carte à jouer. Il va ainsi convaincre les magistrats massaliotes (timouques) de financer son expédition vers le nord. Les grandes étapes de son voyage O n s’est beaucoup interrogé sur la route empruntée par Pythéas jusqu’à l’Atlantique. A-t-il contourné l’Ibérie par la mer ? C’est peu probable. L’hypothèse la plus fiable est qu’il a dû voyager par voie terrestre et fluviale, de Massalia à Burdigala (Bordeaux) où il s’est ensuite embarqué pour l’océan à bord d’un pentécontore (grand navire à voiles et à rames). Rapidement, et Printemps 2016 _TM n°39 Postérité de Pythéas P ourtant, l’accueil de ses concitoyens ne fut pas à la hauteur de ses exploits géographiques. Manifestement, son voyage n’avait pas été assez rentable. Déçu, Pythéas s’enferma et rédigea, à partir de ses observations, son grand livre, « De l’Océan » (hélas perdu pour nous). Écrit sur des rouleaux de papyrus et maintes fois recopié, il connaîtra le succès auprès d’un public de lettrés. Plusieurs siècles après la mort de son auteur, on pouvait encore le lire dans les grandes bibliothèques d’Alexandrie et de Pergame. Apprécié par les uns (Eratosthène, Pline l’Ancien) et dénigré par les autres (Polybe, Strabon), Pythéas le Massaliote a peutêtre rêvé une partie de ses aventures. Il n’en reste pas moins un modèle d’audace et de curiosité pour tous ceux qui, après lui, ont cherché à repousser les limites de leur monde, ouvrant de nouvelles routes, transbordant de nouveaux trésors, offrant à notre appétit de connaissance des données toujours plus précises et plus sûres. Parmi les documents consultés pour la rédaction de cet article, nous tenons à citer le beau livre de Barry Cunliffe, « Pythéas le Grec découvre l’Europe du Nord au IVème siècle avant J-C. » (éditions Autrement) ©Coll. particulière Jean-Marie Gassend/EDIKOM Q s’en trop s’éloigner des côtes, il a atteint Oléron, l’Îled’Yeu, Belle-Île et Ouessant. Pour la première fois, dans sa vie de marin, il rencontre les marées et, sans autre instrument de mesure qu’un gnomon (bâton projetant l’ombre faite par le soleil), il va réaliser des calculs de positions stellaires et de distances qui étonnent encore les scientifiques d’aujourd’hui. Le voici bientôt à Ictis (baie de Plymouth), haut lieu d’extraction de l’étain. De là, il va rejoindre les îles Pritani - ou Brittania -, actuelle Angleterre. À terre, il fait de nombreuses observations sur ses habitants, leurs mœurs et leurs monuments. Il aborde aussi à Hieriyo - l’Irlande -, sans doute avec des embarcations plus légères (currachs). Au bout d’une année environ, il va reprendre la mer, voulant aller encore plus au nord. Un nom résume alors tout ce qu’on en savait : Thulé - l’actuelle Islande. En partant de la pointe nord de l’Angleterre, il va mettre six jours pour l’atteindre, à raison de 85 miles marins journaliers. Là, il aura la vision du soleil de minuit et, au terme d’une journée supplémentaire de navigation, celle de la « mer gelée » - la banquise du pôle nord. Au retour, il fera escale à l’île d’Abalus - Helgoland - pour s’approvisionner en ambre. Puis, il repassera par le cap Bélerion, au sud de Brittania, pour rallier l’Armorique. Et c’est de Narbo (Narbonne) qu’il regagnera Massalia vers 320