ToutMa ToutMa n° 42 - Novembre / Décembre 2106 | Page 50

agenda

L ’ EXPO
TEXTE _ Jacques LUCCHESI

LE RÊVE à tous les étages au Musée Cantini

Une exposition de rentrée riche et ambitieuse qui revisite la peinture surréaliste .
Spider II Louise Bourgeois

Certains nous entraînent dans des sarabandes délicieuses ou inquiétantes . D ’ autres nous font voyager dans des contrées inconnues ou dialoguer avec des défunts . Au matin nous les oublions pour la plupart , mais certains d ’ entre eux nous troublent durablement par leur tonalité tragique . A travers eux , nous défions parfois les lois de la pesanteur . Tels sont les rêves que nous faisons chaque nuit dans cette phase appelée « sommeil paradoxal ». Depuis la plus haute Antiquité , ils ont intrigué les hommes de toutes conditions . Nombreux sont ceux qui crurent que c ’ était des messages de l ’ au-delà , inventant des clés symboliques pour les interpréter . La modernité a adopté un autre point de vue , voyant dans ces productions nocturnes , les expressions condensées de nos désirs ou de nos craintes . En définissant le rêve comme « la voie royale vers l ’ inconscient », Freud en a fait l ’ un des axiomes de sa psychanalyse naissante . Il devait , en particulier , inspirer le mouvement surréaliste pour lequel le rêve devint la condition de l ’ art le plus libérateur .

Un tel flot d ’ images mentales a sans doute été une manne pour les artistes de toutes les époques . Car l ’ emploi du rêve comme matériau pictural n ’ est pas l ’ apanage de quelques écoles modernes : il suffit de citer ici le nom de Jérôme Bosch . Mais toute exposition pose volontairement ses limites et celle qu ’ organise , en ce début d ’ automne , le musée Cantini , est surtout centrée sur des peintres du XX ème siècle . Certes , on trouve au début du parcours quelques œuvres - pas des meilleures - du grand symboliste que fut Odilon Redon et même , à l ’ étage , une encre de Goya , maître en cauchemars s ’ il en est . Mais , pour l ’ essentiel , c ’ est du Surréalisme qu ’ il est question ici avec quelques-uns de ses plus grands représentants : Salvador Dali , René Magritte , Victor Brauner , Oscar Dominguez , Yves Tanguy ou Jacques Hérold , pour ne citer

Goya qu ’ eux . Beaucoup de peintres et peu de sculpteurs , ce qui ne rend que plus attentif aux quelques sculptures présentées - dont un plâtre de Rodin , « La voix intérieure » et une araignée géante de Louise Bourgeois , « Spider II ».

On les redécouvre volontiers tout au long des sept étapes d ’ un parcours et d ’ une scénographie qui sont censés nous mener du sommeil au réveil . S ’ il n ’ y a rien à redire sur la beauté

- et même l ’ originalité - des œuvres rassemblées ici , il n ’ en va pas de même pour ce qui concerne les choix opérés par les commissaires de cette exposition . Car , à y regarder de près , on constate souvent un décalage entre les intitulés des sections et les tableaux que l ’ on peut y voir . Ainsi , dans « Nocturne », salle II , à côté des ambiances oniriques de René Magritte , Paul Delvaux , Félix Labisse ou Mimi Parent , on est surpris de rencontrer le « Monument aux oiseaux » de Max Ernst , aussi magnifique soit-il . Dans « Le rêve », salle III , seule la miniature sur microsillon de Dalì , « Suenos en la playa », fait explicitement référence au sujet , les autres œuvres explorant d ’ autres thématiques , qu ’ elles soient signées par Brauner , Tanguy ou Man Ray . C ’ est pareil dans la salle VI où , à côté d ’ une encre d ’ Henri Michaux vraisemblablement réalisée sous l ’ emprise de la mescaline , on tombe sur des tableaux d ’ André Masson comme « Le Terrier » et « Antilles » ( déjà présentés l ’ an dernier ) en se demandant quel rapport ils entretiennent avec l ’ hallucination qui préside à cette section . Et que dire , dans la salle « Fantasme », de ce « Voleur de femme » tableau clairement signé par Le Douanier Rousseau mais attribué ici à un certain Ernest T ? Difficile , dans ce cas , de parler d ’ une citation .

C

’ est le problème principal de cette exposition qui donne , par ailleurs , une impression de répétition générale : d ’ où la présence , en fin de parcours , de toutes les miniatures qui composent le fameux « Tarot surréaliste », alors qu ’ une seule lame est dédiée au rêve . Voudrait-on nous faire croire que toutes les rêveries artistiques ramènent au Surréalisme ? Ou que le Surréalisme se réduit à sa seule dimension onirique ? Nous savons bien que non . Malgré d ’ indéniables surprises ( je pense notamment aux eaux-fortes de Valère Bernard , artiste marseillais trop rarement montré ) et des dispositifs de projection annexes non moins intéressants , cette exposition s ’ essouffle à poursuivre un sujet qui la dépasse de loin . Mais c ’ est la nature du rêve que d ’ excéder toutes les cases dans lesquelles on veut l ’ enfermer .
LE RÊVE jusqu ’ au 22 janvier 2017
Magritte
Musée Cantini 19 rue Grignan Marseille 6 ème _ 04 91 54 77 75 Du mardi au dimanche , de 10h à 18h . Entrée _ 10 et 8 €
Dalì
Novembre / Décembre 2016 _ TM n ° 42 48
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