ToutMa ToutMa n° 40 - Eté 2016 | Page 42

agenda

L ’ EXPO
Le Château de Kilgaren sur la Twyvey
TEXTE _ Jacques LUCCHESI

TURNER et la couleur

® Bury Art Museum , Greater Manchester UK ® Tate , London 2015 ® Yale Center for British Art , Paul Mellon
Turner et la couleur du 4 mai au 18 septembre 2016 Tous les jours de 10h à 19h
Hôtel de Caumont 3 rue Joseph Cabassol , Aix-en-Provence _ 04 42 20 70 01 www . caumont-centredart . com
Été 2016 _ TM n ° 40
Plage de Calais à marée basse
Ombre et obscurité , le soir du déluge
Navire approchant du port de Margate par grosse mer

Un lien subtil relie Joseph Mallord William

Turner ( 1775-1851 ) à la modernité picturale . On sait ce que les Impressionnistes - et Monet en particulier - lui doivent . Même un peintre abstrait , comme l ’ Américain Mark Rothko , se reconnaissait une parenté avec lui . Alors que John Constable , son contemporain , mettra son art au service d ’ une imitation quasi parfaite de la nature ( il influencera l ’ École de Barbizon ), Turner fera progressivement du paysage le prétexte pour des jeux de couleurs qui nous étourdissent encore . En cela on peut dire de lui que c ’ est un peintre pour peintres .

Dans ces conditions « Turner et la couleur », la belle exposition que présente aujourd ’ hui l ’ Hôtel de Caumont , est on ne peut plus probante et nécessaire à qui veut comprendre l ’ évolution de la peinture occidentale . Organisée en partenariat avec la Turner Contemporary de Margate , elle rassemble 19 huiles et une centaine d ’ aquarelles , pour la plupart prêtées par des musées prestigieux , comme la Tate Gallery de Londres . Elle peut aussi s ’ enorgueillir d ’ avoir pour commissaire Ian Warrell , l ’ un des spécialistes mondialement reconnus du grand peintre anglais .

Ainsi , c ’ est le récit de cette existence entièrement consacrée à la peinture qui prend forme au fil des salles ( elles-mêmes marquées par le style dixhuitiémiste ). Si chacun de nous n ’ est , finalement , que la somme de ses admirations , celles de Turner , fils d ’ un modeste barbier , le poussèrent très tôt vers ceux qui surent magnifiquement traduire dans leurs tableaux cet émoi qui saisit le cœur devant la nature et ses multiples phénomènes : Titien , Le Lorrain , Rosa , Canaletto . Comme par exemple , Vision du Déluge signée par Poussin dont se souviendra durablement le jeune peintre londonien , au point d ’ en donner tardivement ses propres versions , comme on peut les admirer dans la dernière section .

Toutefois , c ’ est l ’ aquarelle qui d ’ emblée s ’ imposa à lui : ce n ’ est pas étonnant qu ’ elles soient ici bien plus nombreuses que ses huiles . Le genre est plus

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Une rétrospective évènementielle sur le grand paysagiste anglais aux origines de l ’ Impressionnisme .
difficile qu ’ on ne croit , exige un dosage et une sûreté d ’ exécution sans faille . C ’ est d ’ ailleurs sa technique d ’ aquarelliste qui influencera la tournure prise par sa peinture , comme le souligne justement Warrell . Où qu ’ il aille - et il voyagea beaucoup sur le continent - , Turner transporte ses pinceaux , sa boîte à couleurs et ses carnets de croquis ( on peut en voir quelquesuns ici ). Les monts et les vallées où se détachent de minuscules maisons , les plages et les rivières s ’ imposent à son esprit comme autant de sujets à fixer sans délai . A d ’ autres le portrait - comme Joshua Reynolds ou Thomas Gainsborough - ! Il lui préfèrera toujours les paysages et les scènes de genre où les formes humaines se fondent dans le décor .
… cet art vaporeux où la couleur absorbe le dessin …

Très vite recherché par les collectionneurs , Turner s ’ affirmera aussi comme un grand illustrateur , notamment avec le Liber Studiorum et les romans de Walter Scott . Le problème de la couleur se posa vraiment à lui lorsqu ’ il passa à l ’ huile sur toile . En ce début du XIX ème siècle , elle est le sujet de maints traités philosophiques ( Goethe , Moses Harris ) que l ’ artiste méditera . D ’ autre part , il y a l ’ arrivée sur le marché de nouveaux pigments , comme le bleu de cobalt et le jaune de chrome . Rapidement Turner les fera siens , insensible aux critiques qui accablent souvent le génie à ses débuts . On peut suivre ici l ’ évolution de ses tons , plutôt fades dans ses premières œuvres , jusqu ’ à ces explosions chromatiques où dominent les jaunes , mais aussi le brun , l ’ ôcre , l ’ orangé et le rouge vermillon . On arrive peu à peu à cet art vaporeux qui est sa signature ; cet art où la couleur absorbe le dessin et qui se prête si bien à la représentation des ciels brouillés ou des vagues déchaînées .

Une exposition qui fait de l ’ Hôtel de Caumont un incontournable centre d ’ art dans la cité du Roy

René .
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