Atypeek Mag N°1 | Page 201

GIW journal étudiant Gémiens Vladimir Nabokov LOLITA Dans les années 60, Stanley Kubrick se lance dans l’adaptation du roman Lolita de Vladimir Nabokov au cinéma. Il est conscient qu’il devra habilement manier la caméra s’il ne veut pas qu’en ressorte un mauvais film, mi-malsain mi-érotique… LOLITA c’est une histoire d’amour et de sexe entre un beau-père et une gamine. Lolita, douze ans, jolie, aguicheuse, insolente. Une « nymphette » comme l’appelle son amant, entre la Nymphe et la nymphomane, libre au lecteur de choisir son camp. Vous allez me dire : «  QUOI ? Comment peut-on lire cinq cents pages (pour certains, la question s’arrête ici…) qui traitent d’inceste et de pédophilie ? ». C’est ici que commence notre comparaison. LOLITA c’est un récit interne. En passant par le Google traduction de la littérature, cela signifie que le récit est narré du point de vue de Hum- bert Humbert, le beau-père amoureux, et c’est notamment sur cette intériorité que repose la force du roman : plongé au cœur des tourmentes de l’amant, le lecteur prend de plein fouet la violence des sentiments du personnage pour sa belle-fille. Des sentiments passionnés, des sentiments purs, car à aucun moment dans le livre on ne décèle chez le héros une once de pensée ou de plaisir pédophile, mais aussi un profond sentiment de culpabilité. Le roman se veut être, sous la plume de Nabokov, la longue confession d’un amant qui se blâme, déchiré entre sa passion pour une enfant et son dégoût envers lui-même. Si on ne peut aller jusqu’à dire que leur amour devient acceptable, ou même compréhensible, on ne peut nier que le lecteur soit touché par cette histoire. Cette intériorité, et particulièrement ce mélange omniprésent d’amour, de culpabilité et d’obsession, est ce qui manque principalement au film de Kubrick. Le réalisateur ne parvient pas en effet à retranscrire le déchirement interne du héros. Aussi, l’amour qui lie le beau-père à la jeune fille est moins visible, moins tangible, moins bouleversant, ce qui rend leur relation beaucoup plus déran- geante. On ne peut néanmoins ôter à Kubrick la grande subtilité dont il a su faire preuve, en préférant un cinéma de suggestion (au moment des scènes sexuelles par exemple) à un cinéma d’exposition, faisant ainsi honneur à l’écriture elle aussi suggestive de l’auteur. GEM IN WAY - Découvrez plus d’articles sur : http://geminway.com/2016/11/lolita/ LOLITA c’est un récit interne comme je le disais. Aussi, Lolita est comme transcendée, non seule- ment par cette passion tellement adulte (que l’on peine donc à envisager sous l’angle d’une relation adulte-adolescent), mais aussi et surtout par le regard que porte sur elle le narrateur : elle est objet de désir, un fantasme, l’idéal inaccessible de la femme fatale (il suffit de lire la description qu’Humbert donne de ses jambes pour frôler la crise de jalousie). Nabokov parvient ainsi à faire oublier à son lecteur que la fille du récit est une enfant : si son langage, ses attitudes, la description de son corps évoquent sa jeunesse, elle apparaît comme trop désirée et désirable pour être imaginée comme une petite-fille. Cette transcendance ne s’opère pas dans le film de Kubrick, en dépit de quelques rares gros-plans qui substituent habilement la femme à l’enfant. C’est à la fois par-là que le film pèche, et par-là qu’il trouve sa force : le spectateur ne peut plus échapper à la réalité, Lolita a douze ans, elle porte un appareil dentaire, de petites tresses ATYPEEK MAG #02 JANV./FEV./MARS 2017 201