Atypeek Mag N°1 | Page 187

séléctions POTEMKINE
Date de sortie : 18 sept . 2007 ( 2h22 ) De : Elem Kilmov Avec : Aleksey Kravchenko , Olga Mironova , Liubomiras Laucevicius Genre : Guerre Nationalité : Russe
REQUIEM POUR UN MASSACRE ( 1985 ) d ’ Elem Klimov
Il s ’ agit du premier DVD sorti par Potemkine , celui par lequel tout a commencé . Considéré quasiment unanimement comme le plus grand film sur la guerre jamais réalisé , Requiem pour un massacre connut un grand succès au box-office lors de sa sortie au milieu des années 80 . Pourtant , le long-métrage était devenu très difficile à se procurer , juste disponible sur une vieille VHS ou visible dans les cinémathèques .
La moindre chose que l ’ on puisse dire , c ’ est que c ’ est le genre de film choc qui marque durablement tous ceux qui le regardent . Se déroulant en 1943 , pendant l ’ occupation des troupes allemandes en Biélorussie , il aborde le thème du génocide dans le pays , avec
plus de 600 villages qui ont été brûlés , décimant des régions entières . Klimov avait coécrit le scénario avec Ales Adamovich qui avait combattu alors qu ’ il était encore adolescent . Cet aspect autobiographique est rendu par ce qui fait la force du film : adopter le point de vue d ’ un adolescent face aux horreurs de la guerre . Magistralement interprété par Alexei Kravchenko , Florya passe du statut de gamin à celui de vieillard en quelques jours , les transformations de son visage filmé en gros plans sont elles-mêmes bouleversantes . Autour de lui , les visions macabres et apocalyptiques s ’ enchaînent . Tout n ’ est que charnier , corps amoncelés . La caméra serre le personnage , nous sommes avec lui , nous sommes lui . Ceux qui lui parlent sont eux-mêmes souvent face caméra , nous impliquant directement dans cet univers cauchemardesque .
Nous sommes emportés physiquement dans ce partage de l ’ Enfer qu ’ est la guerre jusqu ’ à une apogée finale où Klimov utilise les images d ’ archives afin de nous terrasser de par leur pouvoir inéluctable . Nous voyons ce que le personnage voit , nous entendons ce qu ’ il entend . Ce mélange de réalisme et d ’ un univers mental presque irréel , lié à la folie qui entoure les êtres , est tellement maîtrisé que le réalisateur ne tournera plus jamais après cette œuvre , comme s ’ il avait tout dit .
La survie , la peur , les larmes , Requiem pour un massacre , de par sa noirceur , en deviendrait presque un film d ’ horreur , ce qu ’ il finit par être quelque part . On se souvient par exemple de l ’ œil ensanglanté filmé en gros plan de la vache agonisante , ou le corps brûlé d ’ un vieillard autour duquel le village s ’ est rassemblé ou encore cette population enfermée dans une grange pour être exterminée . La perte d ’ innocence passe par ces visions insoutenables , étouffantes . L ’ utilisation de drones vibrants et d ’ une musique alternant oppression , collage de bandes-son de la guerre ( discours d ’ Hitler , hymne allemand ) et airs classiques ( Mozart , Wagner …) font aussi du film un trip halluciné , baigné dans un épais brouillard insondable . Cet aspect d ’ étrangeté peut être une forme de résistance face à un réel insupportable mais aussi les premiers pas vers la folie qui guette ces enfants , perdus au milieu des bombes et des macchabées , aussi bien enfouis dans la terre ou pendant des arbres .
Klimov , lui-même hanté par le décès de sa compagne Larisa Shepitko suite à un accident de voiture , veut donner à ressentir la guerre non seulement au public mais aussi à ses acteurs afin de tirer des performances possédées . Il a donc fait porter à ses comédiens non professionnels de vrais costumes de guerre et a tourné les scènes dans l ’ ordre chronologique pendant près de neuf mois . Le projet lui-même a mis huit ans à voir le jour , tant la dimension naturaliste faisait peur , d ’ autant plus que le film prend le parti de mettre un visage sur le Mal , le titre original était d ’ ailleurs « Kill Hitler ». Aujourd ’ hui , Requiem pour un massacre mérite d ’ être vu et revu , malgré sa dimension traumatique , car jamais on n ’ aura filmé aussi bien et sur un simple visage le processus déshumanisant de la guerre . ( ML )
ATYPEEK MAG # 02 JANV ./ FEV ./ MARS 2017 187