Atypeek Mag N°1 | Page 180

180 ATYPEEK MAG # 02 JANV ./ FEV ./ MARS 2017
C ’ est là qu ’ il faut savoir s ’ abandonner , s ’ abandonner à soimême , s ’ abandonner à l ’ autre , ce qui n ’ est pas toujours évident pour tout le monde .
Des films-trips dont tu n ’ es jamais revenu ?
Le premier qui m ’ a fait cet effet-là , et c ’ est peut-être un cliché car tout le monde le cite , c ’ est 2001 l ’ odyssée de l ’ espace . il est souvent considéré comme le film-trip le plus officiel , mais je l ’ ai vraiment vécu comme ça .
Déjà , je l ’ ai vu très jeune , je n ’ en avais pas entendu parler , je n ’ avais rien lu dessus . Je me souviens que la seule chose que j ’ avais entendue sur ce film c ’ était que c ’ était ennuyeux .
À l ’ âge où je l ’ ai vu , c ’ était plus un film ennuyeux qu ’ un film trip . Les films-trips arrivent quand on a plutôt 18 / 20 ans , et plus tôt c ’ est considéré comme des films chiants .
Mais je l ’ avais vécu comme un film-trip à 14 ans et du coup à cet âge-là le trip est fort et il reste bien dans la tête . Ce fut le premier , mais Le miroir reste un des moments les plus forts de mon expérience de spectateur .
Après , il y a évidemment plein de films que je n ’ ai pas édités qui sont des films-trips : Apocalypse Now par exemple . Un film que j ’ ai revu récemment qui est un vrai film-trip c ’ est Un homme qui dort de Georges Pérec et Bernard Queysanne .
C ’ est l ’ histoire d ’ un jeune homme dans les années 70 qui se renferme sur lui-même jusqu ’ à sombrer dans une espèce d ’ abysse de dépression et tout cela est traité par les moyens du cinéma et pas par les moyens normaux du récit .
Ce sont le montage , la mise en scène et la photographie qui font ressortir ça . C ’ est le genre de film qui , si vous n ’ êtes pas déprimé , ça vous rend totalement déprimé .
Cœur de verre de Herzog est un bon film-trip aussi
évidemment , Herzog ! Cœur de verre est un sacré film-trip , que j ’ ai découvert en éditant les coffrets , je ne l ’ avais pas vu à l ’ époque . Mais il m ’ a sacrément secoué effectivement . Le premier film-trip que j ’ ai vu d ’ Herzog , très jeune aussi , c ’ était Aguirre .
Encore une fois , ce n ’ est pas immédiatement identifié filmtrip , mais Vertigo de Hitchcock m ’ a fait cet effet-là . On rentre dans un espace-temps où on est dans tout sauf la réalité .
Et quand on arrive à être pénétré par ça , cela peut nous amener très loin . Un autre film-trip assez costaud c ’ est Suspiria d ’ Argento .
Parmi les films-trips qui m ’ ont vraiment impressionné il y a aussi Alexsei German , avec Il est difficile d ’ être un dieu , qui rejoint ma passion pour le cinéma russe et les films- trips , et qui est totalement extraordinaire . Cela n ’ aurait pu être fait que par des Russes , c ’ est pour ça que je les aime tant : ils ont cette folie formaliste , ils sont capables de déplacer des montagnes artistiques pour faire leurs films . Après , il y en a un autre , aussi fascinant , et si j ’ y pense , c ’ est parce que j ’ ai vu récemment une de ses installations pour le festival d ’ automne , c ’ est Apichatpong Weerasethakul qui a fait deux des films les plus tripants de ces dernières années , c ’ est Oncle Boonmee et Cemetary of Splendour . Des films magnifiques très proches des rêveries visuelles . C ’ est important de souligner quand il se passe quelque chose d ’ important aujourd ’ hui , et heureusement qu ’ il y en a encore qui nous font rêver .
Il y a eu pas mal de cinéastes français plutôt hors normes publiés par Potemkine . C ’ est un cinéma souvent associé à beaucoup de clichés mais vous allez défendre des auteurs plus inclassables . Quel est votre rapport à ce cinéma ?
En fait , je m ’ en fous un peu du cinéma français . Les nationalités ou les genres , je m ’ en moque . Pour moi , il y a deux pays de cinéma , le pays du bon film et le pays du mauvais film . effectivement , le cinéma français aujourd ’ hui ne me plaît pas toujours . mais je ne me suis pas dit il faut que je défende un certain cinéma parce qu ’ il y en a un autre qui ne me plaît pas . C ’ est naturellement que je le défends . Il vient à moi . Il y a quelque chose d ’ assez organique là-dedans . F . J . Ossang , on l ’ a côtoyé parce qu ’ il est notamment proche d ’ Agnès B . avec qui on coédite notre DVD , et ça s ’ est fait naturellement . Je ne suis pas allé le chercher et il n ’ est pas venu nous chercher .
On s ’ est parlé , on s ’ est croisé et cela s ’ est fait . Même chose avec Lucile Hadzihalilovic , on a des amis en commun et on s ’ est croisé quelques fois . évidemment , j ’ aime son cinéma mais pas en tant que cinéma français différent de ce que je n ’ aime pas d ’ habitude , c ’ est juste que j ’ ai envie de défendre ce qu ’ elle fait . J ’ en oublie même que c ’ est français . Elle pourrait être belge . Donc il n ’ y a pas une façon de penser le cinéma français , mais plus une façon de penser le cinéma globalement . Effectivement , publier Jean Epstein , qui faisait un cinéma qui est totalement à l ’ opposé de ce qui est arrivé après guerre et qui s ’ est tellement installé qu ’ on a du mal à s ’ en sortir , même dans les années 2000 .
“ Tarkovski qui a été très important et dont on va ressortir les films en versions restaurées ”
Du coup , tant qu ’ à faire , j ’ aimerais bien qu ’ on aille un peu plus loin et qu ’ on ressorte ce cinéma pour faire des choses plus inspirées d ’ Epstein que de Marcel Carné ou de François Truffaut .
Cela me fait rebondir sur le cinéma documentaire que vous défendez , qui s ’ éloigne totalement des formats habituels avec des interviews en têtes parlantes et des archives , mais on se rapproche des films-trips ou de documentaires à la limite de l ’ expérimentation
C ’ est ça . Je pense qu ’ on est dans un espace où la question de quel est le format de ce qu ’ on va filmer ne se pose plus vraiment , notamment sur Dead Slow Ahead qui pourrait être un film expérimental , un film d ’ art vidéo , une fiction sur un bateau en fin de civilisation ou tout simplement un documentaire sur un cargo industriel . Dans tous ces films , il y a la volonté de filmer un sujet avec une certaine vision . Après cela ressemble à tel type de cinéma qu ’ on reconnaît ou tel autre mais à l ’ origine cela échappe à tout ça .