Atypeek Mag N°1 | Page 177

“Parce qu’on s’appelle Potemkine, on nous a souvent proposé des films russes. C’est venu presque par défaut, du moins naturellement” Une des lignes directrices de Potemkine, c’est cette passion pour le cinéma russe, autant des auteurs classiques que des moins connus mais dont les œuvres étaient à chaque fois difficilement accessibles. D’où est né cet intérêt ? Ce n’est pas une passion que j’ai depuis longtemps. C’est venu un peu par rapport à la boutique. Parce qu’on s’appelle Potemkine, on nous a souvent proposé des films russes. C’est venu presque par défaut, du moins naturellement. Du coup, la découverte est venue avec, je ne connaissais pas Tchoukhrai, je ne connaissais pas Panfilov, je ne connaissais que certains films de Kalatozov, je connaissais par contre Tarkovski et je ne connaissais pas Requiem Pour un mas- sacre. Je me suis surtout reconnu dans ce cinéma car c’est avant tout formaliste, un cinéma qui utilise les moyens du cinéma, l’image, le son, le montage plus que des moyens littéraires, pour raconter une histoire. Cela m’a toujours beaucoup touché. Parmi les favoris, il y a Mikhail Kalatozov. Je l’avais redécouvert quand Soy Cuba était ressorti en salles, en vidéo, etc. Je crois que c’était Martin Scorcese qui l’avait redécouvert d‘abord, ensuite il y a eu une ressortie mondiale. C’est un film produit par les Russes à Cuba pour la propagande communiste. Kalatozov avec son chef opérateur Ouroussevski a réussi à créer une œuvre formelle absolument démente où chaque seconde est une expérimentation artistique et créative qui va bien au-delà du propos propagandiste qui finalement est assez anecdotique dans le film tellement ce dernier est d’une beauté qui dépasse ça. Après il y a un film qui a eu la Palme d’Or, Quand passent les cigognes, qui pour le coup est plus proche du dernier coffret qu’on a édité : Gregori Tchoukrai. Il est un peu moins connu que Kalatozov, pourtant il a fait le film La ballade du soldat qui est assez proche de Quand passent les cigognes, film réalisé à cette époque très florissante du cinéma russe qui est l’époque du dégel, l’après-Staline où enfin on a commencé de parler de l’humain, de l’individu après une longue période où c’était le peuple et ses grandes actions héroïques qui étaient mises en avant, notamment liées à la guerre. Il y a eu toute une relecture de la guerre par le biais de ces films-là. C’est assez passionnant. Il y a notamment le remake d’un film des années 20 à la gloire de la grande Russie et de l’armée russe qu’il a réussi à transformer en étant très proche de l’histoire initiale mais en changeant quelques détails pour remettre l’individu au milieu du grand mouvement du peuple communiste. La ballade du soldat avait fait quand même deux millions d’entrées à l’époque en France, donc c’est un film qui a eu un certain succès ! On a aussi fait l’intégrale Andrei Tarkovski qui était la génération d’après et qui a pris le pendant qui me plaît le plus dans le cinéma russe, c’est le pendant poétique qu’il a amené à une apogée mystique que peu d’artistes ont réussi à atteindre, même aucun autre selon moi. Il y a aussi Elem Klimov, qu’on aime beaucoup, le réalisateur de Requiem pour un massacre, dont on va éditer prochai- nement plusieurs de ses films, pour la plupart inédits en France, et aussi des films de sa femme, qui était une grande cinéaste, Larisa Shepitko, dont on vient d’éditer trois films, y compris un film qu’elle a fait avec son mari qui est une merveille et qui se nomme Les adieux à Matiora. Donc nous continuons notre exploration du cinéma russe où il y a tant de choses à découvrir. Si tu devais présenter la maison d’édition sur dix ans maintenant, quelles seraient les sorties fortes ? Les coups de cœur personnels ? Un qui me tient particulièrement à cœur, notamment parce qu’on l’a mal vendu, c’est Mind Game. C’est un manga mais qui ne brasse pas que le style du dessin manga qu’on connaît, japonisant avec les grands yeux, mais qui brasse tous les styles d’animation différents en faisant un hommage direct et assumé au surréalisme. C’est un film sur lequel j’ai eu un gros coup de cœur, j’ai voulu l’éditer tout de suite mais mal- heureusement cela n’intéresse pas beaucoup les gens. J’en suis quand même très fier. Dans les choses plus importantes, il y a le coffret Jacques Rozier, bon qui n’est pas très connu non plus. C’est un cinéaste Nouvelle Vague, mais il est plus dans la Nouvelle Vague que les plus officiels comme Truffaut ou Godard, car il a mis au cœur de ses films le sens de la liberté et de l’invention du cinéma directement dans la rue plus que les deux précités. C’était très difficile à sortir dû à sa personnalité compliquée, donc on est les premiers à le publier en vidéo après de longues années d’attente. C’était aussi une grande fierté. En plus récent, un autre français, très différent, mais au moins aussi important si ce n’est bien plus : Jean Epstein, cinéaste de l’avant-garde française des années 10-20-30, assez oublié car rien n’était sorti en DVD sauf quelques éditions confidentielles, alors que c’est un des artistes français et même mondiaux les plus important de cette époque. Il a inventé un nombre de choses incalculables dans le cinéma. ATYPEEK MAG #02 JANV./FEV./MARS 2017 177