Atypeek Mag N°1 | Page 157

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Apparemment , nous n ’ avons pas encore bien compris la nature de l ’ intelligence . Ensuite même si nous créons une intelligence artificielle ( et cela viendra ), il faudrait que ses besoins la fasse entrer en compétition avec nous , qu ’ elle lutte pour la maîtrise de notre niche écologique . Pourquoi serait-ce le cas ? Elle n ’ a pas besoin de nourriture , d ’ espace vital , ni même d ’ eau ou d ’ oxygène . Au pire , je crois que cette intelligence supérieure s ’ en irait dans l ’ espace et nous foutrait la paix .
Ce qui est excitant dans l ’ IA ? C ’ est peut-être justement que nous allons développer des intelligences Totalement Autres . De véritables aliens , vivant dans un milieu étranger , peut-être entièrement digital , avec des besoins , une structure mentale complètement différents … La taille de l ’ univers et la vitesse de la lumière étant ce qu ’ elles sont , il ne sera peut-être jamais possible de discuter avec de véritables extraterrestres . Alors la perspective de pouvoir communiquer avec des entités “ faites maison ”, voire aller jusqu ’ à développer avec elles une relation symbiotique , me paraît une perspective tout à fait excitante , beaucoup plus intéressante à envisager que les spéculations ultrapessimistes sur notre obsolescence finale , ou naïvement optimistes sur l ’ IA-papa noël , chantée par certains extropiens …
Comme tout observateur qui se respecte , tu évites de livrer des pronostics en conclusion de ton livre . J ’ apprécierais pourtant que tu te livres , pour conclure cette interview , à un petit exercice de prospective en nous parlant des évolutions technologiques , sociales et culturelles que tu pressens pour les vingt ou trente années qui vont suivre …
C ’ est effectivement très difficile ! On ne peut s ’ empêcher , lorsqu ’ on se livre à ce genre d ’ exercice , de penser à la prédiction des experts qui affirmaient qu ’ une dizaine d ’ ordinateurs ( de la puissance d ’ une petite calculette d ’ aujourd ’ hui ) suffirait à couvrir la surface des États-Unis … Tout d ’ abord , je ne crois pas en une « fin de l ’ histoire », optimiste ou pessimiste . Certains extropiens pensent que nous nous dirigeons vers la « singularité », un moment au cours duquel l ’ accélération accélérante du progrès technologique nous précipitera brutalement dans
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un ailleurs posthumain , sur lequel nous ne pouvons pas dire grand-chose . Je n ’ y crois guère . Pour moi , l ’ histoire va continuer , mais il va falloir s ’ habituer à cet environnement extrêmement fluctuant . Il est probable que notre capacité d ’ action sur le cerveau va aller en en s ’ accroissant . Évidemment , cela fait un peu peur , on pense tout de suite à Big Brother et aux applications du neuromarketing , mais cela peut aussi impliquer un pouvoir accru de l ’ individu . Il y aura certainement des conflits dans ce domaine . Jusqu ’ ici , les « drogues » ont toujours eu une action très globale , peu contrôlable ; parfois , leur véritable effet reste incertain , comme les fameuses « smart drugs ». Mais on devrait bientôt réduire cette imprécision . À ces solutions chimiques , on peut ajouter la connexion directe entre le cerveau et la machine , ainsi qu ’ une réalité virtuelle très sophistiquée . Imagine pouvoir redéfinir complètement ta personnalité par un cocktail de drogues … tu vivras ensuite ta nouvelle identité dans un environnement ad hoc , peut-être totalement différent de notre milieu terrestre .
Évidemment , dans ces conditions , la définition du moi , déjà fortement mise à mal ces derniers temps par les médias électroniques , devrait devenir plus floue , encore plus imprécise . Non seulement nous serons en mesure de nous autocréer , mais nous pouvons aussi chercher à devenir légion , à adopter des personnalités multiples . Dans son fascinant livre Aristoï , l ’ écrivain de science-fiction Walter Jon Williams imagine que les humains du futur seront capables de vivre en contact avec des « personnalités artificielles », en fait des portions de notre propre conscience possédant une certaine autonomie et amplifiées par des banques de données et des algorithmes d ’ intelligence artificielle implantés dans le cerveau .
“ Imagine pouvoir redéfinir complètement ta personnalité par un cocktail de drogues …
C ’ est une vision de la dissolution de notre identité encore plus fascinante que celle offerte par un moi perpétuellement changeant . C ’ est aussi l ’ aboutissement des pratiques des magiciens du chaos , qui fabriquent des « esprits familiers », des « serviteurs », à partir de leur propre inconscient . Ceux qu ’ ils font aujourd ’ hui au niveau de la métaphore , du jeu , pourrait devenir bien plus réel . Peut-être que les aliens de demain existeront , non pas sous la forme de purs programmes informatiques , mais comme des hybrides reposant pour une bonne part sur les ressources de notre cerveau . Dans tous les cas , je ne sais pas si on parlera de « post-humanité », au cas où de telles choses se produisaient , mais notre conception de la psychologie , de la société , de la culture risque de s ’ en trouver profondément altérée .
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ATYPEEK MAG # 02 JANV ./ FEV ./ MARS 2017 157